Naissance: 31 mai 1937
Éducation formelle: B.Com de l’Université McGill (Montréal – 1958) et MBA de l’Université Columbia (New York – 1961)
Études en art:
1962-1965 – Musée des beaux-arts, Montréal
1966-1971 – École des beaux-arts, Montréal
1972-1983 – Centre Saidye Bronfman, Montréal
Il travaille avec les médiums suivants : argile, plâtre, bois et pierre; a aussi fait du soudage, des collages, de la construction, et a appris la gravure et le dessin.
Amour de sa vie et muse: Joan Fish (Monk)
Passions: homme d’affaires, canot, mari et sculpteur
Pseudo: « Monk »
Patron: Joan Monk
Outils: marteaux et burins pneumatiques
Pierre de sculpture préférée: marbre de Carrare
Monk fait lui-même toutes ses sculptures
Nombre de sculptures réalisées par Peter Monk seul: 157
Autres médiums: gravure, collage, assemblage
Loisirs: canoé-kayak, ski
Sa plus célèbre réalisation non sculpturale: la bibliothèque de son chalet
Citation la plus célèbre:
« Ce qui compte le plus, ce n’est pas la destination mais le voyage. »
La sculpture Built Up #1 de Peter Monk, son premier essai lorsqu’il a commencé à tailler la pierre, trône sur la table à café de Katherine Monk dans sa maison de Point Grey depuis aussi longtemps que je la connais. Pour me porter chance, je l’effleure chaque fois que je rends visite à Katherine. La pierre est si belle, si lisse et si dure. J’identifie cette œuvre au paysage environnant : la palette de bleus du détroit de Georgia ainsi que les montagnes et le ciel que l’on aperçoit de sa fenêtre et que j’admire au crépuscule (l’heure habituelle de mon arrivée), et la façon dont la sculpture encadre presque le paysage, et vice versa.
Katherine m’a aussi invitée à lui rendre visite à la maison de campagne de ses parents, au lac Ouareau, dans Lanaudière, où des dizaines de sculptures de son père sont disposées tout le tour d’une mezzanine qui surplombe une grande salle, devant un autre paysage d’eau, de montagnes et de ciel. J’en ai fait le tour en touchant à chacune d’elles, mises là, m’a-t-il semblé, selon un agencement choisi par sa mère.
Lors de cette visite, j’ai eu la chance de rencontrer Peter, qui, entouré de bruit et de poussière, s’affairait dans son atelier. J’ai été frappée par le fait que, malgré leurs formes et la poésie qui s’en dégage, ces sculptures résultent d’un labeur plutôt exigeant. L’homme même présente un contraste intéressant : un chef d’entreprise sérieux et discret, qui, au lieu de jouer au golf, de faire de la voile ou de s’adonner à toute autre activité prisée des gens d’affaires puissants, nourrit une passion aussi ardue et solitaire.
Je lui ai demandé pour quelles raisons ce médium l’attirait.
« Parce que la pierre se travaille lentement », m’a-t-il répondu.
Peter travaille donc dans ce petit atelier semi-extérieur et dans un autre espace, encore plus petit et mal aéré, sis dans l’entrepôt de son entreprise, à Montréal. Lentement, il creuse des cavités et donne forme à des pièces en marbre de Carrare, en onyx et en albâtre, un matériau qui pèse 160 lb par pied cube et dont il a fait venir une tonne d’Italie.
Cette exposition regroupe certaines des œuvres maîtresses de Peter, soit plus de 150 sculptures créées depuis plus de 51 ans. Celles-ci sont le résultat d’un travail qui a constitué à trouer, à façonner et à polir un des matériaux les plus durs de la Terre.
Pour la première fois la semaine dernière, en admirant des dizaines d’autres œuvres disposées au sol et sur des étagères dans les bureaux et la salle de conférence de Paris Glove, dont l’édifice est construit aux abords d’une terne autoroute de Montréal, j’ai réalisé que j’avais toujours vu les sculptures de Peter dans les résidences de la famille Monk, où elles semblaient s’intégrer au paysage environnant. Mais d’une certaine façon, elles façonnent le relief de sa vie affective des cinquante dernières années comme époux, père, homme et artiste. En contemplant ses œuvres, on comprend à la fois tout et rien de leur auteur.
Les formes des œuvres de Peter Monk sont universelles mais uniques, étranges mais familières. Il y a l’asymétrie audacieuse de Power and Grace, la sculpture présentée sur le carton d’invitation. Sur la page couverture de ce catalogue, on voit Melody, la sirène en marbre portugais dont les lèvres chantonnent en silence des mélodies secrètes. Quant à Open Sound, une pièce en onyx aux formes voluptueuses, Joan affirme que sa table à café semble « dénudée » si elle ne s’y trouve pas; enfin, Commander in Chief démontre l’indéniable autorité vulvaire (nous rappelant, après tout, que Peter est un homme qui vit dans une famille de femmes au caractère fort).
« Lorsque je les regarde, j’ai peine à croire que j’en suis l’auteur », souligne Peter. « Elles sont l’expression d’émotions que je ne peux sans doute pas exprimer autrement, et de ce que je ressens face à ces émotions. »
Ces sculptures dépeignent des mouvements de l’âme qui appartiennent à l’artiste mais qui sont accessibles à tous. Elles restent en moi et je suis heureuse d’avoir eu la chance de les voir de près.
Melora Koepke
Journaliste et critique
En 1956, tous les yeux des Occidentaux étaient tournés vers la Hongrie qui était en pleine révolution… des Hongrois ordinaires défilaient dans les rues, s’emparaient des chars russes à Budapest et se déclaraient un peuple libre. L’une des images fortes de cette époque a été celle d’un jeune Hongrois combattant de la liberté, le torse émergeant de la tourelle d’un char d’assaut et tenant en l’air un fusil. Cette image m’a bouleversé, moi qui étais alors étudiant en deuxième année de commerce à l’Université McGill, qui vivais chez mes parents et buvais de la bière au local de la fraternité Sigma Chi et qui menais somme toute une existence insouciante. Je ne sais pas pourquoi mais l’image de ce combattant de la liberté, ce jeune homme probablement du même âge que moi, tentant de changer le cours de l’histoire m’a profondément touché et j’ai senti le besoin d’intérioriser les émotions qui me submergeaient alors. Je suis allé dans la chambre de ma jeune sœur, j’a pris toute sa pâte à modeler et j’ai sculpté une figurine de quatre pouces de haut représentant le jeune homme au fusil (entourant la pâte à modeler autour d’un trombone devenu le canon du fusil). Pendant les six années qui ont suivi, je n’ai pas retouché à la pâte à modeler ni à aucune autre matière malléable.
En 1960, j’avais déjà passé trois ans comme commis à l’emploi de la pétrolière Shell tout en suivant des cours du soir à McGill pour obtenir un MBA (maîtrise en administration des affaires). En 1960, l’Université Columbia à New York m’a accepté comme étudiant au MBA et m’a accordé le rare privilège d’obtenir mon diplôme en deux semestres, en reconnaissant cinq des cours du soir que j’avais suivis à McGill, à condition que je suive les quinze cours qui restaient en deux semestres. En établissant un programme de huit cours le premier semestre et sept le second, j’ai étudié de façon intensive, j’ai été retenu sur la Liste du Recteur grâce à mes « A » et j’ai terminé mes études en juin 1961 et obtenu mon MBA et une offre d’emploi chez Paris Glove, l’entreprise familiale. Pendant mon séjour de deux semestres à New York, la jeune femme dont j’avais fait la connaissance au cours d’un rendez-vous surprise sur le campus en 1957, est revenue dans ma vie, m’a rendu visite à quelques reprises à New York puis nous nous sommes mariés le 9 septembre 1961. Aujourd’hui, 48 ans plus tard, la merveilleuse Joan Fish est toujours à mes côtés.
Nous avons emménagé dans un petit appartement (chambre à coucher, cuisine, salon et salle de bain) sur le boulevard Graham, à Ville Mont-Royal. J’étais comme un lion en cage dans ce minuscule espace, je tournais en rond, je manquais d’air. Joan s’est vite rendu compte de ma frustration et m’a encouragé à explorer ma passion sublimée pour la sculpture et m’a suggéré de m’inscrire à des cours du soir offerts par le Musée des beaux-arts de Montréal.
Le Musée comptait des professeurs merveilleusement sympathiques et talentueux qui nous ont montré comment préparer de l’argile avec de la poudre, comment construire des armatures pour soutenir nos formes et finalement comment mouler ces sculptures d’argile dans du plâtre. Aujourd’hui, il ne reste qu’une pièce de cette époque, la tête en plâtre d’un modèle d’atelier. J’ai étudié au Musée pendant quatre ans. Les années 1960 ont été une période d’excitation et de tumulte; des changements sociaux avaient lieu un peu partout. Le Québec entamait sa révolution tranquille, la société autour de nous changeait et le MBAM plutôt conservateur ne reflétait pas l’effervescence et les émotions de la société. L’École des beaux-arts de Montréal était une institution d’excellence depuis de nombreuses années et sa réputation et ses diplômés régnaient sur le milieu artistique québécois. Je me suis inscrit avec une certaine appréhension aux cours du soir en sculpture et j’ai été rapidement bouleversé et ravi par les merveilles visuelles et les œuvres d’avant-garde qui ornaient les murs et les salles de classe. J’y ai appris à travailler avec des chalumeaux, à attacher ensemble des tiges de métal, à tailler du plexiglas et à le mouler et j’ai compris que tout objet trouvé pouvait être intégré dans une œuvre sculpturale. Toute une série de pièces qui repoussaient les limites de l’art me séparèrent rapidement du paisible modelage d’argile du MBAM et m’amenèrent aux constructions stimulantes qu’on nous encourageait à imaginer à l’École des beaux-arts. Je me rappelle en particulier d’un professeur du nom de Pierre Bourassa, alors scénographe à Radio-Canada, ardent nationaliste québécois et incroyable buveur de bière. La passion de Pierre pour son travail, sa volonté d’expérimenter avec des matériaux non traditionnels et son encouragement chaleureux à l’égard de l’Anglo un peu coincé dans sa classe, m’ont rapidement placé dans le cercle de ses protégés. En fait aujourd’hui, accroché aux murs de notre sous-sol, se trouve un tableau-collage fait de mylar et de bouteilles de bière Molson, en rouges et en verts vifs. Pierre, comme de nombreux artistes de cette époque, n’a pas atteint une grande renommée artistique et aujourd’hui, son nom ne résonne pas chez les groupies de l’art québécois.
Sous la tutelle de Pierre, j’ai créé à l’aide d’un assemblage extraordinaire fait d’un vieux batteur à œufs, d’un parapluie et de divers objets trouvés une sculpture qui, lorsqu’on tournait le manche du batteur à œufs, faisait tourner des objets, le plus coloré étant le parapluie peint de vives couleurs fluorescentes. De cette époque, Fighting Saws, The Bleeding Hose, John 26 (quelque peu endommagé) sont les seuls vestiges fabriqués avec les matériaux fragiles d’alors.
Au début des années 1970, l’École des beaux-arts est devenue un centre révolutionnaire, les étudiants occupaient l’école et la révolution québécoise prenait forme. Le Gouvernement voulait reprendre le contrôle des institutions qu’il finançait et a rapidement changé la dynamique de l’institution qui est passée d’un style en roue libre à un établissement gouvernemental bureaucrate. Au lieu de permettre aux étudiants de suivre les cours à l’endroit et au moment où ils le désiraient, on a imposé à l’institution une structure pédagogique et tous les étudiants devaient avoir suivi des cours préalables en grammaire, littérature, mathématiques, etc., toutes ces exigences des CEGEPS qui voyaient le jour. Pour un «homme d’affaires» titulaire d’un MBA qui suivait des cours pour sa survie spirituelle, la situation n’était pas invitante et j’ai cherché à l’extérieur du milieu d’autres moyens de nourrir mon âme.
Le Centre Saidye Bronfman avait bonne réputation et était perçu comme un endroit stimulant où plusieurs des meilleurs artistes de Montréal, notamment Ghitta Caiserman-Roth, Rosalyn Swartzman, Stanley Lewis et d’autres, y donnaient des cours. Pendant dix ans, j’y ai étudié assidûment avec plusieurs professeurs et j’ai été guidé, dans les dernières années, par les conseils de Stanley Lewis, sculpteur sur pierre. Les techniques et les outils auxquels on m’a initié au Centre Saidye sont au cœur même de mon travail aujourd’hui. Au Centre Saidye, nous avons pris connaissance des sources d’approvisionnement en pierre dans la ville et j’ai souvenir d’un artisan italien particulièrement passionné, Rocco Petrelli (sa table à café avec base en pierre trône encore fièrement dans notre salon). Rocco aimait la pierre et son chien. Le milieu interlope s’est intéressé à l’entreprise de Rocco, y voyant un moyen d’importer de la drogue en la cachant dans la pierre et a offert d’ «acheter» son entreprise, mais Rocco a refusé et a mahleureusement retrouvé son chien mort, avertissement non équivoque que l’offre n’était pas négociable. Du jour au lendemain, Rocco a quitté Montréal et trouvé refuge dans un petit village ontarien. Son approvisionnement exceptionnel en pierre intéressante pour la sculpture a pris fin et aucun fournisseur aussi passionné et dévoué ne l’a remplacé.
Après avoir étudié et travaillé au Centre Saidye pendant plus de dix ans, j’avais l’impression de posséder les techniques essentielles et d’être pleinement outillé avec compresseurs, ciseaux à pierre et tout l’attirail nécessaire pour travailler de façon autonome.
J’ai installé mon premier atelier dans notre nouvel édifice sur Montée de Liesse où j’avais un travail de jour comme président de Paris Glove et un autre travail de jour encore plus matinal comme sculpteur enflammé. J’arrivais tous les matins entre 7 h et 7 h 30 et je travaillais une heure ou deux à une sculpture en pierre puis je prenais une douche et passais à mon deuxième travail de la journée. L’été, je travaillais dans un décor semi-extérieur à notre maison de campagne du lac Ouareau, près de Saint-Donat, dans Lanaudière. La vieille maison qui avait été construite au début des années 1930 a été démolie il y a trois ans. Notre maison actuelle est le lieu d’exposition d’à peu près le quart des sculptures que j’ai réalisées. Le gros de mes sculptures se trouve à notre maison de Montréal où elles nous encouragent quotidiennement à poursuivre cette passion combien gratifiante.
Il s’agit d’un travail tout à fait émotif, une expression orgasmique émanant des profondeurs abyssales où se trouvent l’esprit et l’âme que nous possédons tous. Les formes organiques et les espaces positifs et négatifs qui en sortent s’équilibrent et jouent entre eux dans une succession d’exercices yin et yang qu’il m’est impossible d’expliquer de façon rationnelle. Chaque pièce «émerge» de la pierre et on pourrait comparer ce processus au skieur qui commence à dévaler la montagne, un premier virage menant à un second et ainsi de suite jusqu’au bas de la piste. Ma première taille est un exercice semblable et on peut comparer la sculpture qui en émerge au bout du compte à la descente réussie d’une pente abrupte.
La sculpture nourrit mon âme et mon esprit et c’est ce qui me permet de survivre et de gérer les stress de ma vie très compliquée. Une vie entière à être à la fois homme d’affaires et sculpteur a fait que mes œuvres en pierre n’ont jamais été exposées, mais le travail et la passion qu’elles représentent méritent d’être partagés, alors j’ai décidé de prendre les mesures pour qu’elles le soient.